Cher menteur

« Ainsi que beaucoup de célèbres végétariens, M. Shaw mangeait de l’homme. Sa cruauté froide, sa malice méprisante, son rire féroce allumaient une flamme dangereuse pour les ailes de tulle et les boucles de Mme Patrick Campbell. Elle s’y précipitait (non sans réserve) et s’éloignait lorsque la chaleur devenait excessive. La correspondance de l’actrice et du dramaturge nous offre le spectacle de cette danse de la flamme et du papillon, sauf que le papillon tombe toujours dans le piège, alors que sa propre flamme allait devenir funeste à Mme Patrick Campbell. Ce duel lui fut néfaste, en ce sens qu’elle ne sut pas comprendre que les pièges qui guettent une comédienne ne sont pas du même ordre que ceux qui menacent un écrivain. Les dangers grandissaient Bernard Shaw et sculptaient son socle. Les dangers ruinaient le socle de la comédienne, et firent à sa gloire succéder une solitude misérable.

Mais ce qui la sauve, c’est son courage et la grâce avec laquelle cette grande vedette accepte sa déchéance et ne la reproche jamais à son tortionnaire. Il est vrai qu’elle lui avait joué quelques tours. »

– Jean Cocteau, traducteur et adapteur

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