n général dans les pièces de théâtre, il y a quelque chose : une action qui arrive, passe et s’en va.
Ici, dans Oh ! Les beaux jours de Samuel Beckett, il y a quelqu’un : une femme qui est là. Il semble même que les choses soient déjà passées ou disparues. De ce long fil de la vie, vie individuelle ou vie universelle, il semble qu’il n’en reste plus que quelques brasses : « Ça va bientôt sonner pour le sommeil. »
Une femme est là, enlisée jusqu’à la taille, au milieu d’un sol aride, une terre brûlée par le soleil. À l’instant où la représentation commence, le temps a fait son œuvre, la vie s’est écoulée. Il ne reste plus que quelques secondes. En fait on n’a rien pu faire : « On ne peut rien faire. » On n’a pas pu dire grand-chose : « Il y a si peu qu’on puisse dire ».
La terre va bientôt craquer. Il semble qu’elle a perdu son atmosphère. Le globe ? Peut-être en reste-t-il quelques restes ? Ce pourrait être bientôt le froid éternel, la glace éternelle. Et de tout cela il y a si peu dont on puisse parler. Cette femme est là, tenue à la taille de cette façon, n’ayant plus que d’elle à s’occuper, de quelques affaires renfermées dans son sac (toute sa vie !) et derrière elle, à peu près invisible, un homme qui fut et qui semble être encore tout ce qui reste de sa vie. Une ombre d’homme qui « attend », en se rôtissant les fesses au soleil, en détaillant à l’occasion une carte-postale obscène, en rongeant son mouchoir quand il ne peut plus dormir.
Un dernier couple d’êtres humains s’est un moment fourvoyé par ici « main dans la main, chacun une sacoche; puis se sont éloignés, flous, puis plus, puis rien ».
Nous sommes au terme de la Vie. Au ternie de Tout. Et pourtant cette femme qui est là, est gaie et reconnaissante. Elle remercie. Elle comprend tout. Sa nature est obstinément braquée vers l’optimisme. C’est une damnée de l’espérance : « Ça que je trouve si merveilleux ! » Tout à l’heure ce n’est plus à la taille qu’elle sera enfoncée, c’est jusqu’au cou. Ne plus pouvoir bouger que les yeux.
Sa vie passée se déroula dans sa tête : vie récente, vie ancienne. Et la joie restera en elle malgré quelques « bouillons de mélancolie ». « Ah oui ! de grandes bontés, de grandes bontés. » Mais pourquoi s’enlise-t-elle ainsi ? La jeunesse, dit-on, est le temps des illusions. Avec l’âge nous entrons dans la réalité des choses telles qu’elles sont; une réalité fort triste, un petit monde décoloré qui va se rétrécissant. L’enlisement progressif de cette femme est la traduction plastique, poétique et logique de ce resserrement constant. Au moment où « ça va sonner pour le sommeil », où « on devra fermer les yeux et ne plus les ouvrir », il n’y a plus que la tête qui émerge. Et néanmoins il y aura eu « abondance de bontés » : «…Ah ! le beau jour encore que ça aura été. Après tout. Malgré tout. Jusqu’ici. »
* Une création nord-américaine de la pièce de Samuel Beckett par Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault du Théâtre de l’Odéon-Théâtre de France.
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Mise en Scène
Distribution
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C Dick Darrell
Renaud
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Une pièce de
Samuel Beckett
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Mise en scène
Roger Blin
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Concepteurs
Décors MATIAS
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Photos de production
Photo Pic